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DE CHARTIER CREATEUR D’HARMONIES

Match des cépages : Monastrell espagnol contre mourvèdre provençal

Fév 27, 2021

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Par François Chartier « Créateur d’harmonies »

Monastrell espagnol et mourvèdre provençal : un même cépage certes, mais des saveurs plus souvent qu’autrement aux antipodes! Voilà un « match des cépages » qui vous permettra de mieux saisir les différences de goût entre les vins d’un même cépage, selon qu’il provient de son terroir de prédilection ou qu’il a été cultivé sous un autre climat.

Le but n’est pas de déterminer un gagnant, mais bel et bien de mieux les cerner, pour ainsi créer des harmonies aromatiques plus justes à table.

Originaire d’Espagne, le mourvèdre aujourd’hui cultivé en France aurait perdu sa filiation génétique avec le cépage qui passe toujours pour son précurseur, soit le monastrell d’Espagne, une variété très cultivée.

Notre mourvèdre français aurait donc probablement muté au fil du temps. À moins que ce ne soit le monastrell qui ait changé d’identité depuis. 

Quoi qu’il en soit, une certaine logique se dégage de cette recherche, car, tout comme le monastrell aime se faire dorer la couenne en Murcie, le mourvèdre adore le soleil brûlant de la Côte d’Azur; toutefois, il a aussi besoin d’avoir « les pieds dans l’eau », soit d’être cultivé en situation côtière, à Bandol par exemple, pour donner le meilleur de lui-même.

Ce qui n’est pas le cas du monastrell qui, lui, survit admirablement dans la grande sécheresse et dans l’aridité des sols sablonneux des zones d’appellations espagnoles Jumilla et Yecla.

Contrairement au monastrell espagnol, en France, le mourvèdre est généralement assemblé avec d’autres cépages.

À Bandol, en Provence, son terroir de prédilection, rares sont les cuvées à 100 % mourvèdre; mais, comme partout ailleurs en Provence, dans le Rhône méridional et dans le Languedoc et le Roussillon, il apporte couleur, générosité et structure tannique passablement ferme à l’assemblage qu’il compose, notamment avec la syrah et le grenache.

Dans les vins jeunes, le mourvèdre du Midi de la France exprime sa palette olfactive par des effluves de griotte, de cassis, de mûre, de pruneau, de réglisse ou de violette.

Et dans les vins qui ont quelques années de bouteille, il transforme son bouquet en notes de sous-bois, de cuir, de truffe, d’épices ou de fruits à l’eau-de-vie.

Quant au monastrell, on le retrouve surtout en cépage pur, mais aussi dans certains assemblages avec le tempranillo, la syrah ou le cabernet, des cépages qui lui siéent bien.

Les vins qui en sont issus expriment un potentiel aromatique proche parent de son frangin de l’Hexagone; mais, à l’image du charnel malbec argentin et contrairement au ferme malbec de Cahors, ceux-ci dévoilent une texture d’une plus grande épaisseur veloutée, plus sphérique et plus capiteuse.

Donc, rappelez-vous qu’une fois à table, il vous faudra tenter de brider l’ardeur tannique de la version française, pendant que vous tiendrez compte de la richesse alcoolique du géniteur hispanique.

Espagne, à table

Voici quelques pistes qui vous guideront vers de beaux accords avec le monastrell et avec son alter ego, le mourvèdre.

À tout seigneur tout honneur, débutons avec trois vins espagnols à prédominance de monastrell. L’ampleur sphérique provoquée par la grande maturité de ce cépage se traduit par une généreuse présence de l’alcool et permet des harmonies avec des plats à base de viandes rouges en sauce teriyaki, telles les brochettes de bœuf ou d’agneau. L’harmonie sera aussi excellente avec les plats richement épicés – le feu des épices n’étant soluble que dans l’alcool ou le gras –, comme les pâtes à la saucisse italienne épicée ou le chili de Cincinnati.

De même pour les plats longuement braisés et épicés et ceux à base de sauce balsamique, plutôt difficiles pour les vins plus fermes à base de mourvèdre français. Tentez l’exercice avec un foie de veau accompagné d’un confit de betterave et d’oignon rouge (avec une pointe d’un très vieux vinaigre balsamique de Modène) ou un plus classique bifteck d’aloyau grillé aux épices à steak que vous accompagnerez d’un ample, volumineux et persistant monastrell pur de la zone de Yecla.

Ou encore, servez le pénétrant ragoût de bœuf épicé à l’indienne avec un Jumilla percutant, plein, dense et généreux.

France, aussi à table!

Quant au mourvèdre français, qu’il soit prédominant ou en assemblage, son habituelle structure tannique plus ferme et sa densité plus ramassée requièrent des accords aux tonalités différentes.

L’exemple sur mesure est le très serré, longiligne et élancé bandol Domaines Ott; celui-ci se durcirait au contact d’une sauce balsamique qui siérait pourtant bien à son frangin espagnol. Mais le bandol s’attendrira un brin lors d’une rencontre avec un filet de bœuf saignant plus classique accompagné d’un sauté de champignons sauvages.

Parmi les références chez les assemblages dominés par la présence du mourvèdre, il faut compter le Coudoulet de Beaucastel, des Vignobles Pierre Perrin, France; il a un nez résineux, plein et assez riche, aux notes balsamiques et un brin truffées, avec des tanins charnus qui ont du grain sans être trop fermes, à l’acidité fraîche et aux saveurs longues, éclatantes et précises.

C’est le type de vin qui sera en pâmoison devant un gigot d’agneau aux herbes séchées (thym, romarin et origan) ou devant un canard rôti badigeonné au scotch single malt « tourbé »… C’est parce que l’arôme de réglisse du mourvèdre a pour origine le même principe actif que la pointe tourbée d’un single malt.

Enfin, comme le mourvèdre français exhale plus souvent que son homonyme espagnol des parfums de truffe ainsi que des notes giboyeuses de cuir, les plats de gibier et ceux rehaussés de truffe noire ou d’huile de truffe lui vont à la perfection.

L’une des références chez les vins de mourvèdre « truffés » au possible est sans contredit le grandissime Château de Beaucastel, de Châteauneuf-du-Pape, lorsqu’il a plus de dix ans de bouteille.

C’est un rouge au nez racé, richement fruité, condensé et retenu, d’une belle profondeur et d’une élégance suprême, à la bouche compacte, ramassée, imposante, charnue et tannique, avec du coffre, mais tout aussi fraîche et distinguée dans sa richesse. Mûre, bleuet, vanille, résine et épices douces participent au cocktail de saveurs qui commence doucement mais qui évolue à son rythme vers la truffe et le cuir neuf.

Du sur mesure, tout comme le précédent et plus abordable Coudoulet, pour une rencontre au sommet avec un jarret d’agneau confit parfumé à l’huile de truffe.

(Mise au point, 6 Mars)
Dans mon texte sur le Mourvèdre, que j’ai appelé « mutation de style au fil du temps », j’ai écrit, à tort : « Originaire d’Espagne, le Mourvèdre cultivé aujourd’hui en France a perdu ses liens génétiques directs avec le cépage qui est toujours considéré comme son ancêtre, le Monastrell, largement cultivé en Espagne. Le Mourvedre français a donc probablement muté au fil du temps. Soit cela, soit le Monastrell a changé d’identité ».

Mais j’aurais dû écrire, pour être plus précis sur ce que je voulais dire : 

« Originaire d’Espagne, le Mourvèdre cultivé aujourd’hui en France a perdu ses liens directs de « profil de dégustation » avec le cépage qui est toujours considéré comme son ancêtre, le Monastrell espagnol largement cultivé. 
Ainsi, le « style aromatique et gustatif » du Mourvèdre français a probablement muté au fil du temps – non pas son ADN mais le style de ses vins. 
Soit cela, soit le Monastrell a changé son identité « aromatique et gustative » – non pas son ADN.

Mon texte, posté sur mon Blog Harmonies Moléculaires, ne traite que de son profil gustatif (arômes et saveurs), lié aux importantes différences de style des vins issus de ces deux cépages depuis une vingtaine d’années. Ensuite, comment au niveau de l’accord avec les mets et les vins de mourvèdre (de France) et de monastrell (d’Espagne) nécessitent des plats différents, liés à leur profil aromatique et gustatif différent.

 

François Chartier « Créateur d’harmonies »  

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